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Calmy-Rey e Gheddafi


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Da: www.lematin.ch/actu/suisse/la-ministre-voit-enfin-tomber-son-adversaire?page=1

Micheline Calmy-Rey
«Ce que le régime de Kadhafi a fait à nos otages est criminel»
Comment la présidente de la Confédération vit-elle la chute de ce colonel Kadhafi qui avait retenu nos deux otages? Désormais libre de parler, elle raconte les dessous du fameux voyage qui avait libéré Max Göldi.

Ariane Dayer, Le Matin Dimanche - 27. août 2011

Dans une vie de politicien suisse, on n'a pas réellement d'ennemi. Le vôtre, le colonel Kadhafi, est en train de tomber. Que ressentez-vous?
On n'a pas d'ennemi en politique étrangère mais des divergences d'intérêts qu'on essaie de régler de façon pacifique. Quand ce n'est pas possible, on passe au rapport de force. C'est ce qui est arrivé dans cette affaire.

Tout de même, ce gaillard vous a pourri la vie pendant des années! Vous le détestez, non?
Je n'ai pas de haine particulière, mais ce que le régime Kadhafi a fait à sa propre population, aux infirmières bulgares et à nos otages est criminel. Il doit être jugé.

Kadhafi est puni au-delà de vos espérances. Pensiez-vous qu'il tomberait?
Je n'ai pas fait de plans sur la comète. Le but, c'était de sortir nos otages. Des experts nous reprochaient de ne rien comprendre à l'«âme arabe». D'autre ont dit qu'on n'y arriverait pas parce que je suis une femme. Ce n'était pas une question d'âme arabe, juste un rapport de force avec un dictateur.

D'où votre difficulté à négocier?
Ce dont je suis le plus fière, c'est d'avoir réussi à renverser un rapport de force.
Au début, il était totalement défavorable à la Suisse puisque la Libye détenait deux otages suisses. En automne 2009, nous avons lancé notre stratégie de restriction des visas. Un certain nombre de personnalités libyennes ne pouvaient plus avoir accès à un visa pour la Suisse, ni à un visa Schengen. Ça les a fâchés et, comme nous l'avions prévu, ils ont pris des mesures de rétorsion pour tous les citoyens Schengen. Du coup, la Communauté européenne était impliquée. Le rapport de force a commencé à changer en notre faveur.

Aujourd'hui vous êtes plus libre pour raconter le fameux voyage à Tripoli de juin 2010 pour libérer Max Göldi. Quand vous êtes partie de Belp, ce 12 juin 2010, vous n'étiez pas sûre de revenir avec lui?
J'ai des flashes de souvenirs des moments délicats. Par exemple, lorsqu'il s'est agi pour Max Göldi de se livrer à la police libyenne. Cela faisait partie de notre plan, mais c'était très dur à expliquer. J'ai parlé longtemps avec les familles. Je me souviens aussi d'une journée de février 2010, un dimanche. Le soir, j'ai téléphoné à l'ambassade, et l'ambassadeur m'a dit que le bâtiment était entouré par des forces de sécurité libyennes armées. Il était lui-même dans le salon avec des collègues européens prêts à défendre l'ambassade. Il m'a envoyé des photos.

Vous auriez pu rentrer de ce voyage sans Max Göldi et «perdre la face» comme Hans-Rudolf Merz?
C'était la dernière phase d'exécution de notre plan, en principe ça devait fonctionner. Mais, une fois là-bas, ça n'a pas été évident.

Le 12 juin, vous êtes d'abord partie en Espagne rejoindre le ministre des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos, qui a fait le voyage de Tripoli avec vous. Ironie de l'histoire, nous sommes sortis de ce cauchemar grâce à l'Union européenne?
En effet. Je peux vous dire que, dans un premier temps, les Européens n'étaient pas ravis. Quand ils se sont rendu compte des mesures de rétorsion libyennes, ils nous ont appelés pour dire: «Mais vous êtes fous! Qu'avez-vous fait? Pourquoi ne pas nous avoir avertis?» Je leur ai répondu que, si je les avais avertis, ils m'auraient dit de ne pas le faire.

Arrivés à Tripoli à 23 h 30, vous n'êtes accueillis que par un vice-ministre, le début d'une série d'humiliations?
Finalement, c'est nous qui avons gagné. A chaque étape de ces deux jours, on nous a fait attendre, ça faisait partie du jeu. C'était, pour eux, une manière de signifier qu'ils entendaient nière de signifier qu'ils entendaient mener le jeu, alors qu'ils savaient qu'ils avaient perdu la partie.

D'accord, mais il a fallu avaler un sacré paquet de couleuvres?
Eux aussi ont dû le faire. Ils ont dû accepter que les deux otages suisses puissent rentrer à la maison.

Vous étiez-vous donné des limites dans les vexations qu'ils allaient vous infliger: «S'ils me font ça, je repars»?
Le risque de repartir bredouille existait. Mais il était somme toute limité. Eux se sentaient humiliés, donc ils ont fait durer le plaisir en nous chicanant toute la journée. On s'est mis en colère.

Vous avez engueulé les ministres?
Dans un régime comme celui-là, vous pouvez traiter le premier ministre de tous les noms d'oiseaux, ça ne sert à rien. Le système est tel que vous parlez avec le gouvernement mais pas avec ceux qui détiennent réellement le pouvoir. C'est ça une dictature, l'imprévisibilité, la peur, pour le peuple libyen c'était 42 ans de terreur. En fait, mon vrai souci pendant ces attentes, c'était que nous n'avions toujours pas pu voir notre otage, Max Göldi. En prison, puis dans un hôtel, on ne nous laissait pas l'approcher.

Le lendemain, vous avez dû attendre jusqu'au milieu de l'après-midi pour rencontrer le premier ministre?
On a senti que les choses allaient se réaliser tel que prévu lorsqu'on nous a annoncé une rencontre avec le Guide. Et lorsque nous avons appris que le président du Conseil italien, M. Berlusconi, était là: c'était encourageant puisqu'il s'était également engagé en faveur des otages.

Dans ces heures d'attente, quelle image vous êtes-vous faite de l'Etat libyen: un appareil ubuesque?
C'est l'arbitraire le plus complet. C'est là que vous voyez concrètement ce qu'est une dictature. Un exemple: les domestiques frappés par Hannibal Kadhafi à Genève sont toujours protégés par la Suisse. L'un d'entre eux avait un frère qui était en Libye au moment de l'arrestation d'Hannibal Kadhafi. Il a disparu pendant une année. On ne savait pas s'il était mort ou vivant. Il a réapparu un jour auprès de sa mère sans explication. C'est ça, un régime arbitraire.

Pourquoi être allée rencontrer Kadhafi sous sa tente?
Parce que nous n'avions toujours pas Göldi. On m'avait dit que ce serait la rencontre du pardon, que l'affaire ne serait pas évoquée. Quand on s'est retrouvés sous la tente, je me suis faite aussi petite que possible.

Quelle était l'atmosphère?
On est arrivé dans une espèce d'immense caserne, une enceinte entourée de fils barbelés. Au milieu, il y avait un pré grand comme plusieurs terrains de foot sur lequel était posée la tente. On est arrivé en grand cortège, avec les voitures officielles devant sa tente. C'était surréaliste.

Sous la tente, c'était festif?
J'étais la seule femme. J'ai essayé d'éviter de me faire remarquer.

Vous avez parlé à Kadhafi?
Oui. Il m'a dit: «Vous venez de Suisse? De Genève? Il faut démanteler la Suisse.» C'est là que Silvio Berlusconi est intervenu, et je lui en suis très reconnaissante. Il a dit: «Ah non, ne dites rien de mal sur la Suisse! Moi et mes parents, nous avons été reçus pendant la guerre par la Suisse. Je dois beaucoup à ce pays.»

Qu'avez-vous ressenti devant Kadhafi? A-t-il du charisme?
Je n'ai rien ressenti. Ma seule préoccupation, c'était de rentrer avec Max Göldi sain et sauf. Il nous a invités à partager son méchoui le soir. J'ai répondu: «Je suis obligée de renoncer à votre invitation, mo
i, je dois repartir avec M. Göldi.»

Fait-il peur? Fait-il rire?
Vu ce qu'on avait vécu depuis un an et demi, je ne pouvais pas considérer que c'était un personnage acceptable. Il ne m'a pas fait peur, il ne m'a pas fait rire non plus.

Ensuite, vous rentrez à l'hôtel...
Oui, et c'est là qu'on apprend que Göldi ne va pas rentrer avec nous mais partir pour Tunis sur un vol de ligne. On s'est mis très en colère mais il n'y avait rien à faire. On est parti à l'aéroport sans lui. On a fini par le voir là-bas, vers 22 heures. J'ai essayé de partir sur le même vol que lui, mais on m'a fait tous les ennuis possibles, pas de billet disponible, etc. On a donc fait appel aux ambassadeurs d'Autriche et d'Allemagne pour qu'ils accompagnent Göldi jusqu'à l'avion. Nous sommes partis de notre côté pour Tunis et nous l'avons accueilli là-bas. C'était une journée folle.

Vous avez dit: «Je ne serais pas revenue sans lui», c'est une phrase de mec. Vous savez frimer?
C'est une affaire de rapport de force. Il n'y avait pas que la Suisse en jeu, mais toute l'Union européenne à travers sa présidence espagnole et son ministre des Affaires étrangères Miguel Moratinos. Sans compter les ambassadeurs d'Allemagne, d'Autriche et d'autres pays qui nous ont soutenus sur place. Ce M. Kadhafi a cru qu'il pouvait défier la Suisse et l'Union européenne, il s'est lourdement trompé.

Vous avez donc redécollé de Tripoli dans l'avion espagnol?
Oui, je dois dire que j'étais un peu superstitieuse, je n'avais pas envie de prendre l'avion du Conseil fédéral et de revenir sans Göldi, juste avec les valises, comme mon ancien collègue Hans-Rudolf Merz a été forcé de le faire. Donc j'ai dit à mon collègue espagnol: «Je viens avec toi.»

Vous avez retrouvé Göldi à Tunis. Que dit-on à un homme qui vient de subir 695 jours de détention?
Dans l'avion espagnol qui repartait sur Zurich, on a d'abord ouvert une bouteille de vin, et puis beaucoup parlé. Il avait besoin de raconter et nous d'apprendre.

Ces deux jours étaient un yo-yo au niveau adrénaline. On retrouve cette émotion dans les photos de votre retour à Zurich. Vous pouffez de rire avec le secrétaire d'Etat Peter Maurer, comme des gamins qui ont réussi un bon coup?
Il était 2 heures du matin, nous étions épuisés. En fait, je ne me suis rendu compte que c'était fini que quand on a mis le pied sur le tarmac et que la famille de Göldi était là pour l'accueillir, avec son employeur et des collaborateurs du DFAE. Là, tout d'un coup, vous vous dites: «Ouf, c'est fini, il est revenu, il n'est plus sous ma responsabilité.» Un immense soulagement, comme un grand vide.

Vous avez pleuré?
Quelques larmes de soulagement.
Ce voyage prouve que la diplomatie n'est pas seulement théorique.

Ça a aussi un côté cow-boy, improvisation de terrain?
Nous n'avons de loin pas improvisé. Nous étions préparés et nous appliquions un plan d'action. La diplomatie, ce n'est pas seulement de gentilles discussions autour d'un verre, ça peut être brutal. En Suisse, on n'est pas habitué, on est modeste, on sait qu'on n'a naturellement pas le dessus. Dans la communauté internationale, on préfère le dialogue. Là, il a fallu entrer dans le rapport de force.

En même temps, le rapport de force, c'est plutôt votre truc, non?
Je ne prendrais pas de risque juste pour le risque. Mais je suis fière, je suis Valaisanne, il y a des choses qu'on ne me fait pas, qu'on ne fait pas à mon pays.

A votre retour, il y a eu des disputes au Conseil fédéral, l'UDC a réclamé votre tête. La Suisse ne sait pas être heureuse, elle peine à jouir?
C'est peut-être normal, la stratégie que nous avions menée n'était pas habituelle.

Ça ne vous a pas écoeurée?
Disons que ça m'a surprise.

La Suisse a-t-elle versé de l'argent à la famille Kadhafi?
La Suisse a pu récupérer la somme qu'elle avait dû verser en 2010.

Pendant ces années, vous est-il arrivé de rêver la nuit de Kadhafi?
Non, jamais, c'est vraiment quelqu'un qui ne m'a jamais fait rêver.


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